12/02/2013
Doc Caloweb et Oscar Aleman « Le roi invisible »
Il y a eu quelques sacrés bons musiciens à cette époque, des gens qui échangeaient beaucoup. Sur les traces de Crolla, un homme qui a su cultiver l'art des rencontres avec un talent rare, et sans aucun tabou ni a priori, il y a eu des beaux moments, c'était une sorte de papillon curieux et amical. Le Doc l'a croisé très brièvement. A St Germain, tout le monde connaissait Crolla, il était pote avec les musiciens de jazz, les comédiens, les techniciens, les gens de la rue, c'était un des premiers rôles dans la bande à Prévert, il faisait partie de la garde rapprochée de Montand et Signoret, c'était un kid rital qui avait joué dans la rue et vécu son enfance dans les jupes de la belle Laurence, la mère de Django, qui le considérait comme un des enfants de la famille. Avec une foi absolue dans sa bonne étoile, et un sens inné du partage. Un amoureux de la guitare, et ça, le Doc a bien compris.
« Tiens, je t'ai pas parlé d'Oscar ? Oscar Aleman... »
(N'étant pas ignare en matière de guitaristes ayant chatouillé les Maccaferri-Selmer, je sais qui est Oscar Aleman, et j'ai un album, mais sur sa vie, je suis assez léger, allez Doc, go on!)
«... Je l'ai connu quand il est venu dans la troupe de Joséphine Baker, des musicos espagnols nous l'avaient recommandé, il avait joué en Espagne, et dès son arrivée, il a épaté tout le monde. Quand il jouait, t'avais l'impression qu'il y avait deux guitaristes, ou alors un mec qui a 10 doigts à chaque main. Un peu comme Robert Johnson, le diabolique.
Et en plus il avait une vraie collection, guitares, Dobro, banjo, guitare hawaïenne ou cavaquinho, c'est par ça qu'il avait commencé en Argentine, tu vois ce que c'est? »
(eh oh Doc, on s'moke? J'en ai un à la maison, même qu'il a appartenu à un clown... pour les novices, le cavaquinho, c'est une sorte de ukulélé avec des cordes métal, et une table bicolore, d'ailleurs le voilà, c'est le mien, avec mon chat à côté... Qui fait un peu la tronche, il n'aime pas trop les cordes depuis qu'il a lu que les cordes de violon étaient en boyaux de chat, ce qui est tout-à-fait faux, ce sont des boyaux de mouton, enfin jadis, mais les chats sont parfois méfiants... ils n'ont pas toujours tort, mais ce n'est pas le sujet. Celui-là, le cavaquinho, pas le chat, c'est un Alberto Moreira, "violeiros y guitareiros portugueses", luthier, à Felgueiras, Portugal, téléfono 9226398, en 1948. J'aime assez connaître la généalogie de mes instruments. Mais revenons à notre Oscar...)
« Dans ces années-là, il avait une Maccaferri à grande bouche, une des premières, je crois qu'il avait eu un des modèles à résonateur... Il avait une sacrée réputation, Oscar, le Duke l'avait repéré, il voulait l'engager, Ellington, c'était le super big band, mais Joséphine l'a gardé, parce qu'en plus d'être un musicien de haut niveau, c'était un ami, avec Jo, c'était plus que des relations de boulot, il y avait de vraies amitiés, durables, solides, et ça c'était plus important que tout. Il y avait aussi des haines tenaces, mais pas dans notre bande, d'abord on n'était pas assez célèbres, et puis, on savait que la roue tourne, pas toujours bien rond, mais ça tourne...
Oscar, il a eu des permissions de sortie, pour jouer avec Bill Coleman, et Louis... Armstrong, tu penses bien que Jo allait pas priver un ami d'un chorus avec des cadors de cet acabit. Bill Coleman, c'est un de ceux qui a joué le plus souvent avec des musiciens de Paris, des jeunes, comme Crolla qui avait 18 ou 19 ans, avec Gus Viseur, lui c'était une vedette, un de précurseurs de l'accordéon jazz. Ces gens n'avaient pas d'idées préconçues sur les musiciens ou les instruments, ils écoutaient, c'était bon ou pas. Et si c'était bon, que le mec joue de l'harmonica, du pipeau ou de la cornemuse, on y allait de quelques soirées de jazz... qui restent dans la mémoire des vieux tromblons dans mon genre, ça n'a jamais été enregistré... mais ça sonne dans la mémoire, comme un écho du vieux temps...
C'est aussi ce que disait Soudieux, qui avait une mémoire au millimètre sur ce qu'il avait joué avec un tel ou un tel, sur tel morceau, dans cet endroit, mais qui avait complètement oublié les dates, et comme les cachets étaient payés cash, sans bulletin, ni contrat, il a eu une retraite assez minimale, mais il s'en foutait, il était largement payé en souvenirs inestimables, comme un clin d'oeil de Django après un riff de contrebasse, et ces deux mots « Ouais Soudieux » qui valaient un discours d'éloge de 15 pages-
NB : cher vieux Doc, j'ai une menue observation, sur la photo d'Oscar avec la guitare, je ne suis pas sûr que ce soit une Selmer-Maccaferri, d'abord, il n'y a pas le prolongement de la touche au delà de la rosace, voir ici :
et puis la plaque de protection.. jamais vue chez Selmer... mais peut-être qu'il y a eu un modèle Oscar Aleman ? Dans ce cas, on devrait voir l'étiquette Selmer... Mais il y a une possibilité, en 1933, dans les premiers instruments sortis de l'atelier Selmer, il y a eu au moins une guitare à manche classique (large et sans les touches repères) et sans l'extension sur la rosace, comme la 99, de Féré Scheideger, non répertoriée sur le cahier d'atelier, pour des raisons inconnues, le cahier saute de 94 à 100, et il commence à 85. Si un lecteur a une piste, merci d'avance.
« Il commençait à être connu et reconnu, et puis vers 1941 ou 42, il s'est plus ou moins bagarré avec un soldat nazi. Dans les clubs de jazz, c'était la trève, on y voyait parfois à des tables voisines des soldats allemands, de la Wehrmacht, et des civils très anglais, et tout le monde applaudissait Django... Quand les musicos annonçaient un nouveau morceau, « Les bigoudis » ça souriait en coin, ça rigolait, car bien sûr, pas question d'applaudir « Lady be good » de ces horribles ennemis américains, mais « Les bigoudis » c'était good ! J'ai pas trop de détails sur cette période, demande à Duke, comme je te l'ai raconté, j'étais à Londres, pas avec « two goals », ces trucs-là me dépassaient un peu. Si j'étais resté en France, va savoir, j'aurais peut-être pris le train vers l'Est et ses camps d'hébergement pour les anormaux dans mon genre, nègre, américain et musicien de jazz, j'avais le bon profil pour la route no return … Oscar, j'ai su qu'il s'est chicoré avec un nazi, il a vite taillé la route pour son Argentine, il a été une star, là-bas, c'est bien …»
Propos recueillis par Norbert Gabriel
Pour écouter Oscar en swing, c'est là: http://www.youtube.com/watch?v=gAm6ZDhKRAY
pour une autre facette de son talent de guitariste, plus classique http://www.youtube.com/watch?v=zAg3jZManjk
et quelques livres ici http://www.tributoaoscaraleman.com.ar/english/tienda.php
Le Mot de Duke Paddington
Pour les musiques retitrées pendant la guerre, nous avons fait appel à Duke Paddington, le jazzophile érudit, et il nous a fait un topo, en proposant un petit jeu culturel, voilà une série de titres qui étaient joués dans les clubs, devant les amateurs, en civil ou en uniforme... Vous connaissez « Les bigoudis » ? en voici quelques autres, à vous de traduire, les trois premiers qui trouvent gagnent un album d'Elisabeth Caumont, le dernier, ça vaut le coup... A vous de faire chorus.
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La marche de Malot
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L'attaque du train
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Un début de béguin
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La rage du tigre
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La belle soutane
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Rendez-vous à Lausanne
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Etes-vous à la mode ?
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Douce Georgette brune
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Rose de miel
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La pluie qui chante
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Tristesse de Saint Louis
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Le petit chinois
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L'infirmerie de Saint Jacques
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Fruit exotique
Quatorze titres originaux à retrouver, un indice ? Un des compositeurs était annoncé sur le programme comme étant Georges Gerchouin, et un autre, Jérôme Cairn, de Brest.
Réponses s'il y a lieu dans les commentaires. A vos archives !
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22/03/2012
Djazzeries Singing the blues
Conversations avec Doc Caloweb... Le blues.
Le blues, c'est devenu le truc à la mode, c'est comme le reggae, avant de faire du reggae il faut entrer en religion et revêtir l'uniforme qui sigle façon panneau indicateur, comme si les gens qui vont écouter la musique avaient besoin de repérer par la défroque ce que va jouer le musicien. Dans cette approche, le type qui joue du Mozart devrait se perruquer façon 17 ème siècle, et endosser l'habit de cour, culotte ajustée dentelles et jabot.
Pour le blues, c'est marrant, ici les néos bluesmen font dans le débraillé vaguement crade, alors que la plupart des photos des musiciens des années 30-50 les montrent habillés sobre et classique, costume cravate ou noeud papillon, ou chapeau.
Voir ou revoir les photos de Robert Johnson, BB King, ou ci-contre Charlie Patton.
Le blues, c'est pas avec des oripeaux qu'on le ressent, c'est dedans, pas dehors.
...Tu vois gamin, quand je faisais mon show du Jim Beam Blues, c'était un cartoon, un numéro, pour épater et appâter le pékin et lui délier la bourse, mais chanter le blues c'est pas faire un numéro de pitre qui gigote dans tous les sens... Un des plus grands, c'était Blind Tommy Gardison, on n'est pas beaucoup à l'avoir connu, c'était un type extraordinaire, il jouait assis, sans bouger ni pied ni patte, et dès qu'il commençait à chanter la salle se taisait, comme hypnotisée... Toute la déchirure et la détresse du blues profond, il te la faisait vivre, il te plantait ça dans le ventre, sans bouger, même ses doigts sur la guitare semblaient jouer au ralenti, pourtant il s'en servait comme Robert Johnson, comme une autre voix...
C'était une guitare assez ordinaire, une vieille Hofner, une rareté, pas formidable, mais ça changeait des Gibson ou Kalamazoo, c'est pas très important mais ce qu'il en faisait, Bon Dieu que c'était costaud. Et puis quand il terminait il faisait une sorte de petit sketch, avec sa guitare, genre allez chérie, c'est l'heure de se mettre au lit, la guitare lui répondait une sorte de miaulement tendre, qui faisait rire les gens, et les vidait de toute la charge émotionnelle qu'ils avaient encaissée... Et il partait, on le revoyait quelques mois après, parfois un an, il n'a jamais voulu enregistrer, on ne met pas l'âme du blues en conserve, et puis un jour on l'a plus vu … Il a disparu, comme ça, personne ne sait comment il est mort, et quand... Peut-être qu'il est pas mort d'ailleurs, ça lui ferait à peine 110 ans, va savoir. J'ai jamais plus entendu jouer comme lui … Et quand je vois des gugusses qui se disent chanteurs de blues se tortiller dans tous les sens, en se mettant des « vibes » dans la voix pour faire roots, ça me donne plus envie de rire que de pleurer.
Tu me parlais des gens qui font du blues en Europe, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? C'est comme si on voulait transposer le Mississippi et ses 6000 kms en Belgique, ou en Suisse, ça peut pas... Le blues, c'est pas une recette qu'on exporte n'importe où, le blues, c'est … c'est le blues.
Mais j'ai bien aimé ce que tu m'as fait écouter, ce mec Chris Gonzales, lui il a compris l'esprit du blues, il est dedans, dans son blues d'ici, c'est bon ce qu'il fait...
Y en a pas beaucoup qui ont compris ça … Et puis j'ai bien aimé votre Higelin, la chanson qu'il est mort, qui qui dit mieux … Y a le blues là dedans , l'esprit du blues... Tiens ce passage que j'ai retenu par coeur :
Dans ce putain de cimetière
J'ai perdu mon humeur morose
Jamais plus personne ne vient
M'emmerder quand je me repose
A faire l'amour avec la terre
J'ai enfanté des p'tits vers blancs
Qui me nettoient qui me digèrent
qui font leur nid au creux d'mes dents
(Jacques Higelin "Je suis mort qui qui dit mieux..." Album Crabouif 1971)
Si c'est pas du blues, ça …
OK Doc, c'est du bon..
et ça aussi
Skip James ""Hard time killing floor blues"
http://www.youtube.com/watch?v=Rv-_mzVBSF8
Norbert Gabriel
Last but not least, vous connaissez peut-être , mais au cas où, c'est un vrai bonheur musical
http://vimeo.com/moogaloop.swf?clip_id=2539741
(merci à Nicole Courtois-Higelin pour le rappel et le lien)
Pour Chris Gonzales, c'est l'album "Zipholo" c'est pas tout récent, (1997) mais excellent...
Cherchez, vous trouverez peut-être...
Et puisqu'il est question de blues, en voilà à Paris, tous aux Petits Joueurs pour un grand guitariste.
"Qu'il joue du blues aux reflets d'ambre, du Choro brésilien, ou de la musique klezmer, Tim Sparks parvient à faire oublier qu'il est un guitariste virtuose pour révéler une merveille plus rare : le lien qui unit tous les hommes, au-delà des âges et des frontières, par la seule grâce savante de leurs musiques
Et en plus, il swingue terrible : sa guitare pense autant qu'elle danse. Et nous avec. ( GILLES TORDJMAN .)
Cravic guitariste-chanteur crypto jazz-musette fondateur des Primitifs du Futur, membre fondateur de l'UkuléléClub de Paris, guitariste/jardinier du "Jardin d'hiver" d'Henri Salvador
Il partage avec Tim le goût des rencontres inédites musicales et humaines et aime à les provoquer.
14:36 Publié dans Blog, Musique | Lien permanent | Norbert Gabriel | Commentaires (1) | Tags : blues, higelin, guitare, chanson; | | | Facebook | Imprimer | |
18/02/2012
Carte blanche à Claudia Meyer
Carte blanche 15 Février
La carte est blanche, mais la soirée flamboyante. couleur « Fuego » de la maîtresse de maison, Claudia Meyer, couleur Marquito, une légende vivante des arts de la musique-percussion, couleur talents réunis dans un de ces moments magiques qui font naître des souvenirs illuminés.
Claudia Meyer a réuni pour cette carte blanche quelques uns de ses meilleurs atouts d'amimusicaux, par ordre d'apparition en scène : Jean-Félix Lalanne, Nathalie Cardonne, Dany Loy et l'autre surprise du jour l'époustouflant Jim Bauer. Dans ce plateau très relevé de talents guitare les plus créatifs, on vit en direct ou on revit ce que promet l'album: une réminiscence de tous les peuples chantant en filigrane dans ce Fuego, l'âme de ceux qui ont sublimé les écorchures de la vie dans leur art, paroles et musiques, comme un langage universel. Repris par des échos multiples et partagés, avec les compagnons de route et de musique; retrouver Jean-Félix Lalanne est un bonheur toujours renouvelé, c'est un de ces guitaristes en création permanente, d'une finesse et d'une richesse musicale éblouissantes, chaque rendez vous est exceptionnel; autre amie invitée Nathalie Cardonne, à qui on doit en plus un invité spécial.. (Billy B.) et une vibrante interprétation de "Commandante Che Guavarra."
Et la belle surprise vient de l'inconnu, de cet ami qu'on ne connait pas encore, et qui entre droit au coeur en allant au plus intime chercher des émotions enfouies qu'on ne soupçonne même pas, par exemple quand Dany Loy joue et chante un air d'Oulm Kalsoum; avec cette guitare sensuelle à qui il donne toutes les nuances et subtilités de son Orient natal.
Ou quand le jeune Jim Bauer emballe la salle en venant impromptu faire deux chansons qui scotchent le public, et passant avec un égal talent de la Gibson élctrique à la guitare acoustique pour un final en Alléluyah, et en duo à tomber par terre.
Et par privilège d'amitié, Nicoletta en guest star discrète, généreuse et spontanée, c'était vraiment une soirée entre amis choisis non pas par Montaigne et La Boétie, mais par Claudia Meyer et Marquito, et sur le plan musical ils les valent bien.. Ça se passe au Scop'Club, ça ne vous dit peut-être rien, mais ce fut « La Tête de l'Art » un cabaret qui a nourri sa légende de quelques débutants ayant laissé de belles traces dans le monde de la chanson, des noms ? Brel, Barbara, Anne Sylvestre, Pierre Perret et une ribambelle de saltimbanques faisant de chaque soir une fête éclectique et chaleureuse. Comme ces cartes blanches, dont la prochaine est programmée le 14 Mars. Le raconter, c'est bien, mais le vivre, c'est beaucoup mieux. Vous y rencontrerez Claudia Meyer et Marquito, et … des invités.
Ci-dessous Marquito qui a laissé ses percus pour la guitare, et Jim Bauer, le premier avec Dany Loy, le second avec Claudia Meyer (très discrète, comme Dany Loy...)
Avec un salut à Barbara par Claudia avec "Dis quand reviendras-tu" chanson créée sur cette scène, et pendant plus de deux heures, c'est une fête de la chanson multicolore, corsée et gorgée de sève vivifiante, tonique, si vous n'avez d'amis disponibles pour partager ces moments rares, vous en trouverez sûrement sur place, c'est toujours meilleur quand c'est partagé.
Norbert Gabriel
Ci-dessous Claudia Meyer, Nathalie Cardonne, Dany Loy
Pour les dates, heures, adresses et réservations, c'est là:
http://www.claudia-meyer.fr/actualite.html
Claudia Meyer, Marquito, Dany Loy
Jean-Félix Lalanne
Photos ©NGabriel 2012
03:07 Publié dans Blog, Musique | Lien permanent | Norbert Gabriel | Commentaires (5) | Tags : musique, chanson, claudia meyer, guitare, jean-félix lalanne, nathalie cardonne, billy bauer | | | Facebook | Imprimer | |