14/08/2015
L'enfance de l'art de Crolla
C'era una volta, Rico, un ragazzino napolitano...
Once upon a time, Rico, a kid of Napoli...
Il était une fois, Riton, un titi de la zone porte de Choisy... Riton, que Prévert rebaptisa Mille Pattes pour son agilité à faire jaillir des cascades de notes de son banjo-mandoline. En ce temps-là, début des années 30, Rico est un p'tit môme qui vit porte de Choisy, c'est la zone, terrain vague où cohabitent les baraques et les verdines manouches. Ce n'est pas un bidonville de miséreux sans travail, les baraques sont souvent des petites maisons en bois -genre abri de jardin 2015- habitations sommaires construites pas des ouvriers en mal de logement. On y est au sec, l'eau courante court à la fontaine publique voisine de 50 ou 100 mètres. Les parents de Rico, Térésa et Antonio Crolla sont musiciens, ils ont connu des tournées prospères en Allemagne et en Bavière, avant 1914, et les 4 premiers nés sont nés au hasard des tournées. Rico naît à Naples, retour obligé à cause de la guerre, et déclassement social, c'est quasiment la misère, et c'est le départ pour Paris. Le père de Térésa leur a préparé une « baraque » porte de Choisy. Là Rico fait l'école buissonnière avant l'heure, il est souvent chez des voisins, des voyageurs en verdine, les Reinhardt, dont le fils aîné commence à être un banjoïste reconnu. Lui, c'est avec les petits frère et sœurs qu'il joue. Et de temps en temps, Madeleine, sa sœur aînée, lui prête la mandoline de maman Térésa, il a 3 ou 4 ans...
Vers 8 ans il a beaucoup plus envie de promenade que d'école, il rentre tranquille d'une journée 'a spasso' (en ballade.) au lieu d'aller en classe. Et vers 10/11 ans, il va jouer dans les rues, tous les airs populaires du répertoire, les chansons les plus en vogue, de préférence devant les cafés chics, comme La Coupole, où il a été immortalisé sur un pilier par un des peintres de Montparnasse.
Avec son banjo-mandoline et ses doigts 'Mille Pattes', il épate les passants et passez la monnaie. Un jour devant la Rhumerie Martiniquaise, il commence sa journée, deux consommateurs séduits par ce môme étonnant, lui donnent 'une grosse pièce' (dans les 50 €.) et la réponse fuse, « Mais m'sieur j'ai pas de monnaie ».... Lou Bonin "Tchimoukov" et Sylvain Itkine, du groupe Octobre viennent de tomber en amour pour Rico-Riton... Il a 13 ans, et ils l'emmènent chez Prévert et Grimault, lequel habite près de la porte d'Italie. Et c'est chez Paul Grimault qu'il aura une vraie chambre, Prévert son père adoptif vivant surtout à l'hôtel. Dans cette chambre, Paul Grimault l'enferme de temps en temps pour travailler sa guitare. Car on lui a chouré son banjo, et Grimault, amateur de jazz et guitariste lui donne une guitare. Riton devient Mille Pattes, il a souvent entendu Django, mais ne le connaît pas encore personnellement... Quelques années plus tard, en 1938, Henri Crolla est devenu un des espoirs du jazz, qui joue régulièrement dans les clubs de la rue Delambre, avec Gus Viseur, et Coleman Hawkins, Bill Coleman ces jazzmen américains qui découvrent qu'en France un nègre n'est pas forcément un sous-homme.
Consécration pour Rico-Riton-Henri, on lui tire le portrait chez Harcourt, avec sa mythique Selmer-Maccaferri 453 qui ne le quittera jamais.
La guerre de 39-40 l'emmène dans quelques péripéties italo-burlesques, car il est encore italien et mobilisé à Naples. On peut résumer sa guerre en deux périodes, une de 2 mois, l'autre de 8 mois.
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Arrivée au bureau d'incorporation avec une grande détermination: « Mon lieutenant, ne perdons pas de temps, donnez-moi un fusil, faites-moi la liste des gens à descendre et qu'on en finisse.. »
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Le lieutenant, un napolitain très zen : Qu'est-ce que vous faîtes dans la vie ?
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Je suis guitariste...
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Eco,va bene.. Vous allez me donner des cours de guitare...
Deux mois de leçons, Crolla déserte, et remonte à pied du Sud de l'Italie pour revenir à Paris... la promenade dure 8 mois.. Mais ceci est une autre histoire...
Elle continue à Paris, travailleur clandestin, musicien, frère de rue de Mouloudji, qu'il accompagne dans quelques cabarets, avec une chanson qui leur ressemble « Papillon de Norvège »... pour le côté papillon, pas pour la Norvège...
Quelques notes de jazz populaire , pour accompagner la ballade...
On ne peut finir que Tenderly …
Liens http://resistancechanson.hautetfort.com/tag/henri+crolla
17:06 Publié dans chanson, Musique | Lien permanent | Norbert Gabriel | Commentaires (7) | Tags : crolla, mouloudji, prévert | | | Facebook | Imprimer | |
12/02/2013
Doc Caloweb et Oscar Aleman « Le roi invisible »
Il y a eu quelques sacrés bons musiciens à cette époque, des gens qui échangeaient beaucoup. Sur les traces de Crolla, un homme qui a su cultiver l'art des rencontres avec un talent rare, et sans aucun tabou ni a priori, il y a eu des beaux moments, c'était une sorte de papillon curieux et amical. Le Doc l'a croisé très brièvement. A St Germain, tout le monde connaissait Crolla, il était pote avec les musiciens de jazz, les comédiens, les techniciens, les gens de la rue, c'était un des premiers rôles dans la bande à Prévert, il faisait partie de la garde rapprochée de Montand et Signoret, c'était un kid rital qui avait joué dans la rue et vécu son enfance dans les jupes de la belle Laurence, la mère de Django, qui le considérait comme un des enfants de la famille. Avec une foi absolue dans sa bonne étoile, et un sens inné du partage. Un amoureux de la guitare, et ça, le Doc a bien compris.
« Tiens, je t'ai pas parlé d'Oscar ? Oscar Aleman... »
(N'étant pas ignare en matière de guitaristes ayant chatouillé les Maccaferri-Selmer, je sais qui est Oscar Aleman, et j'ai un album, mais sur sa vie, je suis assez léger, allez Doc, go on!)
«... Je l'ai connu quand il est venu dans la troupe de Joséphine Baker, des musicos espagnols nous l'avaient recommandé, il avait joué en Espagne, et dès son arrivée, il a épaté tout le monde. Quand il jouait, t'avais l'impression qu'il y avait deux guitaristes, ou alors un mec qui a 10 doigts à chaque main. Un peu comme Robert Johnson, le diabolique.
Et en plus il avait une vraie collection, guitares, Dobro, banjo, guitare hawaïenne ou cavaquinho, c'est par ça qu'il avait commencé en Argentine, tu vois ce que c'est? »
(eh oh Doc, on s'moke? J'en ai un à la maison, même qu'il a appartenu à un clown... pour les novices, le cavaquinho, c'est une sorte de ukulélé avec des cordes métal, et une table bicolore, d'ailleurs le voilà, c'est le mien, avec mon chat à côté... Qui fait un peu la tronche, il n'aime pas trop les cordes depuis qu'il a lu que les cordes de violon étaient en boyaux de chat, ce qui est tout-à-fait faux, ce sont des boyaux de mouton, enfin jadis, mais les chats sont parfois méfiants... ils n'ont pas toujours tort, mais ce n'est pas le sujet. Celui-là, le cavaquinho, pas le chat, c'est un Alberto Moreira, "violeiros y guitareiros portugueses", luthier, à Felgueiras, Portugal, téléfono 9226398, en 1948. J'aime assez connaître la généalogie de mes instruments. Mais revenons à notre Oscar...)
« Dans ces années-là, il avait une Maccaferri à grande bouche, une des premières, je crois qu'il avait eu un des modèles à résonateur... Il avait une sacrée réputation, Oscar, le Duke l'avait repéré, il voulait l'engager, Ellington, c'était le super big band, mais Joséphine l'a gardé, parce qu'en plus d'être un musicien de haut niveau, c'était un ami, avec Jo, c'était plus que des relations de boulot, il y avait de vraies amitiés, durables, solides, et ça c'était plus important que tout. Il y avait aussi des haines tenaces, mais pas dans notre bande, d'abord on n'était pas assez célèbres, et puis, on savait que la roue tourne, pas toujours bien rond, mais ça tourne...
Oscar, il a eu des permissions de sortie, pour jouer avec Bill Coleman, et Louis... Armstrong, tu penses bien que Jo allait pas priver un ami d'un chorus avec des cadors de cet acabit. Bill Coleman, c'est un de ceux qui a joué le plus souvent avec des musiciens de Paris, des jeunes, comme Crolla qui avait 18 ou 19 ans, avec Gus Viseur, lui c'était une vedette, un de précurseurs de l'accordéon jazz. Ces gens n'avaient pas d'idées préconçues sur les musiciens ou les instruments, ils écoutaient, c'était bon ou pas. Et si c'était bon, que le mec joue de l'harmonica, du pipeau ou de la cornemuse, on y allait de quelques soirées de jazz... qui restent dans la mémoire des vieux tromblons dans mon genre, ça n'a jamais été enregistré... mais ça sonne dans la mémoire, comme un écho du vieux temps...
C'est aussi ce que disait Soudieux, qui avait une mémoire au millimètre sur ce qu'il avait joué avec un tel ou un tel, sur tel morceau, dans cet endroit, mais qui avait complètement oublié les dates, et comme les cachets étaient payés cash, sans bulletin, ni contrat, il a eu une retraite assez minimale, mais il s'en foutait, il était largement payé en souvenirs inestimables, comme un clin d'oeil de Django après un riff de contrebasse, et ces deux mots « Ouais Soudieux » qui valaient un discours d'éloge de 15 pages-
NB : cher vieux Doc, j'ai une menue observation, sur la photo d'Oscar avec la guitare, je ne suis pas sûr que ce soit une Selmer-Maccaferri, d'abord, il n'y a pas le prolongement de la touche au delà de la rosace, voir ici :
et puis la plaque de protection.. jamais vue chez Selmer... mais peut-être qu'il y a eu un modèle Oscar Aleman ? Dans ce cas, on devrait voir l'étiquette Selmer... Mais il y a une possibilité, en 1933, dans les premiers instruments sortis de l'atelier Selmer, il y a eu au moins une guitare à manche classique (large et sans les touches repères) et sans l'extension sur la rosace, comme la 99, de Féré Scheideger, non répertoriée sur le cahier d'atelier, pour des raisons inconnues, le cahier saute de 94 à 100, et il commence à 85. Si un lecteur a une piste, merci d'avance.
« Il commençait à être connu et reconnu, et puis vers 1941 ou 42, il s'est plus ou moins bagarré avec un soldat nazi. Dans les clubs de jazz, c'était la trève, on y voyait parfois à des tables voisines des soldats allemands, de la Wehrmacht, et des civils très anglais, et tout le monde applaudissait Django... Quand les musicos annonçaient un nouveau morceau, « Les bigoudis » ça souriait en coin, ça rigolait, car bien sûr, pas question d'applaudir « Lady be good » de ces horribles ennemis américains, mais « Les bigoudis » c'était good ! J'ai pas trop de détails sur cette période, demande à Duke, comme je te l'ai raconté, j'étais à Londres, pas avec « two goals », ces trucs-là me dépassaient un peu. Si j'étais resté en France, va savoir, j'aurais peut-être pris le train vers l'Est et ses camps d'hébergement pour les anormaux dans mon genre, nègre, américain et musicien de jazz, j'avais le bon profil pour la route no return … Oscar, j'ai su qu'il s'est chicoré avec un nazi, il a vite taillé la route pour son Argentine, il a été une star, là-bas, c'est bien …»
Propos recueillis par Norbert Gabriel
Pour écouter Oscar en swing, c'est là: http://www.youtube.com/watch?v=gAm6ZDhKRAY
pour une autre facette de son talent de guitariste, plus classique http://www.youtube.com/watch?v=zAg3jZManjk
et quelques livres ici http://www.tributoaoscaraleman.com.ar/english/tienda.php
Le Mot de Duke Paddington
Pour les musiques retitrées pendant la guerre, nous avons fait appel à Duke Paddington, le jazzophile érudit, et il nous a fait un topo, en proposant un petit jeu culturel, voilà une série de titres qui étaient joués dans les clubs, devant les amateurs, en civil ou en uniforme... Vous connaissez « Les bigoudis » ? en voici quelques autres, à vous de traduire, les trois premiers qui trouvent gagnent un album d'Elisabeth Caumont, le dernier, ça vaut le coup... A vous de faire chorus.
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La marche de Malot
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L'attaque du train
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Un début de béguin
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La rage du tigre
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La belle soutane
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Rendez-vous à Lausanne
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Etes-vous à la mode ?
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Douce Georgette brune
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Rose de miel
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La pluie qui chante
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Tristesse de Saint Louis
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Le petit chinois
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L'infirmerie de Saint Jacques
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Fruit exotique
Quatorze titres originaux à retrouver, un indice ? Un des compositeurs était annoncé sur le programme comme étant Georges Gerchouin, et un autre, Jérôme Cairn, de Brest.
Réponses s'il y a lieu dans les commentaires. A vos archives !
20:12 Publié dans Blog, Musique | Lien permanent | Norbert Gabriel | Commentaires (6) | Tags : oscar aleman, django, soudieux, norbert gabriel, jazz, crolla, prévert, maccaferri, selmer, guitare, cavaquinho | | | Facebook | Imprimer | |
08/02/2013
Doc Caloweb et les frères Salvador
En zigzagant sur les traces de Crolla dans le Paris jazz des années 35-60, il y a des rencontres ricochets qui font découvrir des personnages un peu oubliés aujourd'hui mais qui ont eu un rôle important, discret, mais réel. Ce sont quelques uns de ces sidemen des années jazz dont Doc Caloweb se souvient.
« C'est bien que tu m'aies rappelé Daidy Davis-Boyer, une sacrée bonne femme. Elle était très copine avec André Salvador, un peu moins avec Henri... Il n'aimait pas qu'on lui rappelle qu'il avait un frangin. Et pas n'importe quel frangin, un grand bonhomme André... Plus personne ne sait qu'en 1935-36, c'était les frères Salvador qu'on commençait à voir dans les milieux du jazz. Et c'est les deux frangins que Django avait engagés, il avait dû les voir au Jimmy's, tous les deux, pas seulement Henri. Dans les clubs de jazz, on disait club à cette époque, c'était des endroits chics et chers, on voyait souvent cette française, Andrée Boyer, elle s'est mariée à un sax alto, Roby Davis, et Daidy, c'était Dédée prononcé façon States. Elle a beaucoup aidé les musiciens cette femme... Elle a organisé des tournées, des concerts, elle était conseillère avisée à peu près en tout...
Pour André Salvador, le frère ainé, on a quand même l'impression qu'il a pas mal inspiré son petit frère... Il avait un sacré talent, Henri, faut bien reconnaître, mais dans la musique, le génie ne nait pas du néant, il y a toujours un élément déclencheur. Si tu poses une guitare Selmer chez les pygmées, ils en feront des polyphonies de la forêt, pas du swing manouche. André Salvador, il a commencé à jouer du banjoline, vers les années 33-34, puis il est passé à la guitare jazz alto, on dira ce qu'on voudra mais quand Henri dit qu'il a découvert et appris la guitare tout seul, il pousse un peu la galéjade. T'as 15-16 ans, chez papa-maman ton ainé joue de la guitare, et tu dis que t'as tout fait tout seul... Il a dit ça dit dans sa « bio » mais 200 pages, et allégées, il en aurait fallu 150 de plus pour boucher les trous de mémoire.
Et il aurait pu aussi se souvenir qu'il avait un cousin qui était dans les premiers membres du Hot Club de France, et c'est lui qui a initié André au jazz. Celui de Django... Si tu écoutes les chansons d'Henri, vers 1947-48, il y a un album en partie guitare-voix, si tu n'as pas vu la pochette, en première écoute, tu penses à Sablon accompagné par Django en solo... Dans la chanson « St Germain des Prés ».. Même voix de crooner, comme Nat King Cole, même guitare fine et subtile... C'est très bon, il y a un vrai dialogue voix-guitare, et le son Django, qu'il le veuille ou non, alors quand Henri dit qu'il ne doit rien à Django … Il parle de Charley Christian... au lieu de Charlie Christian... ça m'énerve, ces trucs... bien sûr qu'il a joué des séries en accords, comme Charlie Christian, Django aussi l'a fait, avant qu'on connaisse Charlie... mais Henri doit être un des premiers à avoir enregistré des chansons en voix-guitare, dans ces années-là, il fallait de l'orchestre, c'est Brassens qui a imposé le genre, un ou deux ans avant, on avait refusé à Félix Leclerc...
André, on l'a retrouvé dans pas mal d'aventures musicales du jazz, mais c'était un personnage riche de possibilités, pendant la guerre, il s'engage dans la résistance, sans esbrouffe, il a refusé des décorations, il avait fait son devoir et basta. Plus tard, il a été champion de tir à l'arc, ceinture noire de karaté, tu imagines ça ? En fait, on peut se demander si un type aussi bourré de talents divers a vraiment réussi sa vie … Il a joué avec des très grands, Don Byas, Bill Coleman, c'est lui qui les invite dans une émission dont il est la vedette, et malgré ça, un jour, il se tire au Québec, pas dans les rues de Montréal, mais dans la forêt des Laurentides, chez les Inuit qui lui donnent un nom de chez eux Wacapac, j'ai jamais su ce que ça voulait dire...
Etonnant comme certains ont le talent d'esquiver les chemins de la gloire, remarque, c'est comme ton Crolla, dès qu'il était reconnu dans quelque chose, il allait voir ailleurs … C'est drôle, en 47, ils ont été récompensés tous les deux, par un grand prix de l'académie du jazz pour Crolla avec Chauliac et Soudieux, en trio, avec « Crazy show » et un autre titre* et grand prix du disque pour Salvador, André, avec Ekyan, sur une compo de Lionel Hampton. « Hey ba ba rebop »…
Après ces années, il s'est mis à tourner un peu partout, beaucoup à l'étranger, je l'ai perdu de vue jusqu'en 59, quand il a fait « Paris mes amours » avec Jo Baker, tu penses bien que j'allais pas rater ça, j'étais pas dans l'orchestre, mais elle m'avait trouvé un petit boulot dans l'équipe, comme au bon vieux temps... Les petits boulots indispensables, c'était ma spécialité. Imbattable dans le genre, dégoter un banjo à 5 cordes, c'était introuvable à l'époque, une kora ou un djembé, trouver un cordonnier ou un kiné à 3 h du mat, ou le restau qui sert le riz aux haricots rouges façon New Orleans, et le jambalaya de poulet, j'étais le king… Bon, un peu rusé parfois... genre, suggérer à un des musiciens de parler du plat national, pour que tout le monde en salive d'avance, et là, qui c'est le sauveur qui connait le seul restau de Paris ouvert à minuit avec cette spécialité ? Le vieux Cab… qui avait téléphoné avant pour arranger le coup… Yep, mec, dans le spectacle, y a pas de miracle, mais du feeling, de l'astuce, du savoir-faire … et un bon carnet d'adresses. C'est une des dernières fois où j'ai vu André, après il a mené une vie de patachon à faire du sport, genre se lever aux heures où je me couche, ça facilite pas les contacts. Il a même eu un diplôme pour enseigner la natation, en Allemagne, il a été prof aussi au Québec, tu vois un peu le personnage... Un hyper actif jusqu'à la fin… 90 ans … C'est une belle vie. Toutes les fois que j'allume une clope, et c'est assez fréquent, je pense à lui, il avait composé une chanson « Si j'étais une cigarette... » il y avait ce couplet :
Si j´étais une cigarette
Tes lèvres pour mieux se griser
De mon odeur fine et discrète
Me presseraient dans un baiser
Oui mais que pourrais-je en attendre
Sinon de voir sur le tapis
Eparpillé en folles cendres
Un amour qui n´est pas compris
Un amour qui n'est pas compris... des fois je me demande si ce n'est pas un peu autobiographique… va savoir ... Ce genre de personne qui virevolte dans tous les genres, on n'aime pas trop en France, Henri a vite compris, il a ciblé son domaine d'excellence, et il a mis le paquet. Avec une réussite méritée, faut pas discuter là-dessus. Mais moi, le bricolo qui papillonne, j'ai une petite préférence pour les électrons libres comme André, Henri Gougaud, le mec qui parle très bien des années cabaret a une observation très juste, « il n'a pas chanté aussi haut qu'il imaginait, mais il a chanté à l'air libre... » Ça compte ces choses dans une vie d'homme... Crolla était comme ça …
Il y a un autre point commun entre André Salvador et Crolla, dans les années 55-60, lui aussi s'est tourné vers le cinéma, mais ceci est une autre histoire... »
En vérifiant les dates et les notes biographiques, André et Henri Salvador sont morts tous les deux à 90 ans... Hasard ou coïncidence, ou ...
Propos recueillis par Norbert Gabriel
*l'autre titre du trio Léo Chauliac, Crolla, Soudieux, c'est « Bye bye blues »
Avec un peu de musique pour finir...
André Salvador "Petite fleur fanée" http://www.youtube.com/watch?v=pHROxa1sIwA
"Mambo" http://www.youtube.com/watch?v=e2z0UMqmn08
Pour Henri : "St Germain des Près" voix guitare http://www.youtube.com/watch?v=cu10Bfy3TzE
et ici dans "Syracuse", un beau guitare-voix où on le voit jouer 'sur une Di Mauro chorus'http://www.youtube.com/watch?v=tbY9ZJXdH1w
16:48 Publié dans Blog, Musique | Lien permanent | Norbert Gabriel | Commentaires (1) | Tags : salvador, crolla, django, ekyan;chauliac, baker, norbert gabriel, doc caloweb | | | Facebook | Imprimer | |