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03/02/2012

Djazzeries .... Conversations avec Doc Caloweb


   Prolégomènes : il y a quelques jours un foutriquet de chroniqueur babillait quelques insignifiances lors de la venue de Michel Jonasz sur une radio nationale et néanmoins estimable. Babillages tendant à expliquer que le jazz c'est une branlette d'intellos à mettre en musique d'ambiance quand on attend la mignonne qu'on  va inviter à aller voir si la rose cueillie du matin est toujours fraîche, et c'est dans la chambre au fond du couloir (résumé trivial de la pensée de Ronsard, mais c'est pas faux) Ainsi donc, on se la jouerait  jazzfan, histoire d'éblouir par ses choix élitistes voire quelque peu ésotériques, car le Jâââââzz, ma chère, c'est pas pour le pékin de base nourri à la duck-dance, in french « La danse des canards » . Le Jâââzzz, disent-ils, la voix ampoulée.
Bon. Il est donc urgent de remettre la pendule à l'heure de la New Orleans et du vieux quartier où est né le jazz. Pour ce faire, nous avons eu la chance de rencontrer un témoin  qui a vécu cette époque, une sorte de Very Old Man, very very old … Doc Caloweb.


Mémoires d'un old timer crocodile des bayous...  
                                                                                                avec le soutien de images?q=tbn:ANd9GcRbtrDvXjS6kBN0YV6qoVxFnEXDuz07SBUrwJmKIg5D9OBUKaejCw

Mon nom est Doc Caloweb , je suis musicien de jazz, une musique inventée par le peuple pour le peuple...  Par le peuple nègre de Louisiane  pour tous les peuples.
Yep mec, I speak french, depuis le temps que je suis à Paris, je peux te la faire en argot de Paname ou en argot de Story Ville, mais là, tu aurais du mal gamin … Le jazz, on dit parfois qu'il est né en 1900, comme Armstrong, c'est pas faux, moi aussi je suis né dans ces années-là.
Alors tu vois, quand j'ai connu Louie, il n'était qu'un gamin de rues presque voyou, et c'est pour ainsi dire moi qui l'ai emmené dans la fanfare où il a joué du cornet...  Ouais, Louie...  Armstrong, le vieux Louis, ça te la coupe, gamin ...  je sais,  j'ai l'air un peu décrépit, c'est vrai , j'ai bien vécu, et tu vois, gamin,  si j'avais su que je vivrais si vieux, j'aurais mieux pris soin de ma santé... Alors Louie, voilà, dans la fanfare, il a commencé à jouer tous les airs qui trainaient dans les rues et les bars, et puis c'est par un séjour dans une maison de correction qu'il a appris le solfège, il était doué, un maton lui a donné des leçons, de musique, et voilà... Ça lui a fait gagner du temps...
Mais, il posait le cornet sur ses lèvres un peu n'importe comment, du coup ça lui a déformé la bouche, on le surnommait Satchmo, tu comprends ? Il a toujours joué comme ça, de travers, et tu vois, c'est ça le jazz, tu prends un instrument, et tu inventes le son que tu veux, celui que tu as en toi, et tu joues, tu joues des standards, des trucs vieux comme la musique, mais à chaque fois tu réinventes. Tu connais pas le solfège ? Et alors ? C'est pas ça qui t'empêche de faire un solo, ou une improvisation, tu chopes le tempo, et go man ! En ce temps là, toute la Nouvelle Orleans résonnait des éclats de trompette de Buddy Bolden, un géant, une légende, presqu'un mythe, ceux qui ont connu ça sont rares... surtout aujourd'hui, c'était vers 1910, tu vois..

Buddy, c'était notre père à tous, vous ne pouvez pas savoir ce qu'il était vraiment, il n'a jamais enregistré, en bon vrai mec du jazz - a very good man is hard to find- comme disait ce vieux Bix,  pour un vrai de vrai, enregistrer c'est figer ce qui est vivant, le jazz, ça s'écrit pas sur du papier, ça se joue avec ses tripes, alors quand on me dit que c'est devenu un truc d'intellos, tiens ça me donne soif.  Passe moi le Jim Beam, Et n'oublie pas, le deal, c'est une bouteille par séance, et pas du carburant de rigolo, j'ai passé l'âge des bibines douteuses, faut que je ménage mes artères, du 12 ans, et si possible du Jim Beam,  ou un Bourbon du Tennessee, comme au bon vieux temps.
Buddy, en quelque sorte, il nous a tout appris, même des trucs qui ne te regardent pas,, et puis il y aurait prescription , mais c'est pas le sujet.
Tu dis ? Ah oui Louis Armstrong, mon copain, je lui ai appris pas mal de trucs, je lui ai tout appris , et on dit qu'il a inventé le jazz, il s'est même inventé une date de naissance historique, sacré Louie, mais sacré musicien, ça, on peut pas dire le contraire. Après le vieux cornet de la fanfare, il est passé à la trompette...  Moi je bricolais vaguement avec un banjo, c'était tout ce que j'avais trouvé pour faire danser les filles. Parce que le jazz de ce temps, c'était pas dans les clubs chics pour rupins, c'était dans la rue, dans les bars à putes, et d'ailleurs , qu'est-ce qu'on en a pas dit du jazz, que c'était de la musique de nègres, c'est vrai d'ailleurs, et de débauchés, ça c'était souvent vrai, vu qu'en ce temps mon pote, quand tu faisais la fête, t'étais forcément un débauché, et les musiques qui te faisaient décoller c'était dans le vieux quartier réservé qu'on les trouvait … Le french quarter, tu comprends pourquoi j'ai eu envie de voir la France...  Réservé à quoi ? Tu devines pas ? On  était pas chez les culs serrés White Anglo Saxon Protestants et leurs ligues de bonnes moeurs, ça rigolait pas chez eux, ça faisait même pas semblant... Et cette musique qu'on inventait, nous les negros du Sud, les enfants des esclaves, les moins que rien, les bêtes de somme pour les champs de coton, cette musique a fait la conquête du monde. C'est pas rien, ça …
Dans les champs de coton, on chantait pas pour passer le temps, mais pour garder la cadence, tout le monde sait bien qu'on a le rythme dans la peau, le tam-tam est devenu tendance, dzing boum, c'était plus les rantanplan de fanfares mais des constructions rythmiques qui dynamitaient les vieux airs du folklore... avec des tambours africains ou antillais... Le Bamboula, c'est un tambour en bambou, antillais...
Et  avant, on avait chanté les cantiques à notre manière avec du spiritual, spécial cuvée, le négro spiritual, les blancs doutaient qu'on ait une âme, mais pour le spiritual, ça allait assez bien.
C'est né comme ça le jazz, une musique métissée de toutes les douleurs, et partout dans le monde, des gens se sont reconnus … Une musique née du sang et des larmes, mais qui gueulait à la face du monde « je ne mourrai pas même si l'on me tue » et sur ce plan, gamin, on a pas mal donné. Un de ces jours, je te raconterai l'histoire de ces fruits étranges qu'on trouvait dans les arbres du Sud...
En attendant, va te rincer les oreilles avec quelques airs du vieux Louis, avec une tournée de rag-time, et quelques lampées de Southern Four Roses, et à ce sujet, n'oublie pas pour demain le carburant de la mémoire, un bon jus d'alambic, c'est souverain pour les souvenirs.   Et en parlant de souvenirs, en voilà un,  tu me reconnais j'espère ?


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Voilà, comment c'est parti, si ça se trouve de Bourbon Four Roses en Wild Turkey, Jim Beam, et autre Tennessee Whiskey,  on va finir en Six Roses (comme dit la chanson d'Annie du Texas) mais le pire n'est jamais sûr. Suivons le Doc, et put on the platine, quelques albums de Louis Armstrong, de Sidney Bechet, ces éclats de rêve qui parlent un langage universel, jazz  à tous les étages!

 

Propos recueillis et transcrits par N Gabriel  ©NG 1997

(à suivre prochainement ...)

00:42 Publié dans Blog, Musique | Lien permanent | Norbert Gabriel | Commentaires (0) | | |  Facebook |  Imprimer | | | |

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