Etre une femme qui chante (28/02/2015)
Quatrième épisode, après avoir été la p'tite qui chante, apprentie star à la conquête de Paris, Marie-Thérèse Orain découvre d'autres aspects de la vie d'artiste au féminin chantant...
et n'oubliez pas, un coffret, un album, avec des inédits est annoncé:
http://caminoverde.com/spectacles/marie-therese-orain.php...
Mais le temps des cabarets n'a pas été toujours facile. Dans une vie d'artiste, si le talent est là, ce n'est pas toujours suffisant, il faut prendre en compte des critères non écrits, surtout quand on est une femme.
Quand on est une artiste femme certaines portes restent fermées...
Outre cet aspect de la question, il y a d'autres données à considérer, et Marie-Thérèse Orain analyse les choses avec lucidité. Quand elle commence à avoir un début de notoriété, c'est dans la mouvance des cabarets rive gauche, des chansons à texte, et c'est à ce moment qu'arrive la déferlante des yé-yés, le temps des copains, ces sixties que Michel Jonasz définit par :
"On les appelait les années soixante parce qu'il naissait un groupe de rock toutes les soixante secondes."
Les maisons de disques produisent n'importe qui faisant du simili rock look ersatz USA : " Si t'as pas une guitare électrique et un 45 tours à 20 ans, t'as raté ta vie, coco… "
Marie-Thérèse est cataloguée rive gauche, le sceau presque infamant des valeurs dépassées par les Johnny-Sylvie-Richard-Frank-Sheila-Dick-Eddy, idoles des jeunes, c'est le temps où j'ai beaucoup pleuré… dit la chanteuse rive gauche. Le temps du twist, le temps du triste qui vous fiche has-been à 25 ans.
C'est une question de timing avec l'époque, avec la mode, il faut arriver au bon moment… C'est même parfois plus important que le talent. Et puis quand on est une femme, il y a des choix à faire, accepter ou pas les opportunités horizontales. Un patron de maison de disques m'a dit en face, après avoir évalué la bête : « Votre album est très bien, mais ça ne se vendra pas. Cherchez quelqu'un qui a 30 millions (d'anciens francs) à perdre… » Voilà pourquoi je n'ai pas fait d'album… même si j'avais certains arguments. Julien Clerc, ou Bruel sont arrivés à un moment où le public désirait inconsciemment quelque chose. Il faut avoir le physique et le style qui va avec l'époque, et les relations qui permettent de s'installer.
En resituant ce qu'était cette époque de transition vers le marketing yé-yé, le label virtuel Rive Gauche était un vrai défi aux maisons de disques. L'arrivée des ACI dans les années 50 avait déjà perturbé les structures en place, celles des grandes entreprises musicales ayant le contrôle de toute la chaîne de la chanson : un chanteur ayant un potentiel supposé, se voyait fournir par son employeur toute une équipe, le parolier, le compositeur, l'éditeur, le studio, le tailleur, le coiffeur... La règle était la chanson-maison mise en succès par un chanteur, suivie dans la foulée par un disque orchestre, et une version musette, car le sam'di soir après l'turbin, ou le dimanche soir, ça guinche un peu partout, et passez la monnaie. Qu'importe ce qu'on chante pourvu que ça se danse avec droits Sacem y afférents. L'Auteur-Compositeur-Interprète , cet artiste artisan quasi autonome, c'est un pied de nez aux « marchands », et dans show-biz, il y a surtout bizness du show. Très tôt Guy Béart devient son propre producteur éditeur, d'autres suivront, Salvador, Mouloudji... |
Marie-Thérèse Orain était dans cette ligne artistique,dite rive gauche, et il fallut bien du talent, et de la volonté pour tailler sa route sans naufrager dans la vague yé-yé. « Le talent, c'est vouloir. » selon Jacques Brel, l'artiste majeur de mademoiselle Orain. Je sortais d'un concert de Brel trempée comme si j'avais fait le spectacle, c'était torrentiel, c'est le chanteur qui m'a le plus bouleversée.
C'était aussi le temps où nombre de journalistes conseillaient à Brel, Brassens, Aznavour, Béart de faire chanter leurs œuvres par des vrais chanteurs. Et quand une femme arrive en auteur-compositeur-interprète, tous les moyens sont bons pour la faire taire. Nicole Louvier n'a pas pu résister au rouleau compresseur des marchands. Mais elle a contribué à ouvrir la voie à Anne Sylvestre deux ou trois ans plus tard. Au cours de cette période riche de péripéties, Marie-Thérèse Orain a souvent le sentiment d'être un papillon qu'on bride dans ses envols. Mais...
Dans une période qui n'était peut-être pas la plus enthousiasmante, quand le doute menace, arrive un de ces petits miracles qui vous sauvent la vie d'artiste. Un soir de cabaret, après le spectacle, un monsieur un peu timide s'approche : « Moi je n'y connais rien en spectacle, je suis garçon de café, mais ma femme, elle a l'œil, et ma femme, elle a dit: elle ira loin, la p'tite. » C'était peut-être écrit quand la p'tite avait 4 ans, et ce clin d'œil amical est toujours resté dans le cœur de la p'tite… C'est devenu une chanson, « Va lui dire à la p’tite », écrite et composée en 2014 pour Marie-Thérèse Orain par son amie Anne Sylvestre. Et la vie saltimbanque continue.
Depuis vingt ans Marie-Thérèse Orain a multiplié les petits rôles, au théâtre, au cinéma, ces personnages pittoresques qui éclaboussent d'un éclat de rire ou de soleil et qui donnent du peps à des comédies plus ou moins réussies. La petite bonne rigolote, la fille délurée à la langue verte et gouailleuse, c'est le bonheur des dialoguistes, la jarretelle sur le bas, le mot qui cueille le spectateur la réplique qui jubile. C'est un de ces rôles qui va ouvrir les portes d'un domaine nouveau pour la chanteuse de cabaret, l'art lyrique, les opérettes, l'opéra comique. Elle est remarquée par Jérôme Savary et Alfredo Arias, et la voici embarquée dans des années lyriques, tout à fait inattendues. Comme l'a dit Brassens, dans un autre contexte, sans technique, un don n'est qu'une sale manie. Quand passe le hasard, d'abord, il ne faut pas le rater, mais surtout, il faut être prêt. Et chaque fois Marie-Thérèse Orain était prête à attraper la queue du Mickey pour un nouvel envol.
Pour mon premier Bobino, je chantais depuis 3 ou 4 mois, il s'est passé ce que les jeunes d'aujourd'hui ne peuvent même pas imaginer, quand je raconte, ils doivent se demander de quel temps des diplodocus je parle...
A Bobino, on passait des auditions, avec le pianiste de fonction, des très bons musiciens, je crache mes deux chansons, et sitôt dit sitôt fait, vous faites les trois semaines de décembre, pour les fêtes. Les Trois Ménestrels étaient les têtes d'affiche, il y avait Anne Sylvestre que je connaissais depuis le Port du Salut, et pendant 3 semaines, c'était bourré comme un canon... ça s'est passé comme ça, sans piston, sans bakchich...
à suivre, la semaine prochaine si tout va bien...
18:39 | Lien permanent | Norbert Gabriel | Commentaires (2) | Tags : marie-thérèse orain, guy béart, mouloudji, anne sylvestre | | | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Ah oui ! Les Trois Ménestrels, je m'en souviens " Tiens, v'là un marin" , entre autres . On les entendais beaucoup à la radio à l'époque( des diplodocus ...) . Eh oui, la vie d'artiste n'est pas toujours un long fleuve tranquille, surtout quand on a pas envie de se plier aux modes commerciales du moment et qu'on est " rive gauche" et ça n'a guère changé . Mais Marie-Thérèse Orain a néanmoins réussi à être "Une femme qui chante" , et elle chante encore .
Vivement la semaine prochaine pour ce passionnant feuilleton ... Quand j'ouvrirai le coffret, je saurai déjà tout !!!
Écrit par : Danièle Sala | 28/02/2015
Passionnant ce 4éme épisode!
Comme Danièle et avant de lire son commentaire, je me suis dit:
"Les trois Ménestrels", mais c'est bien sur!
Merci Norbert de nous rafraichir la mémoire,pour les amoureux de la grande et belle chanson...
Comme après chaque lecture , je m'en vais écouter Marie-Thérèse Orain.
Écrit par : Odile | 01/03/2015